3 juin 2009

Le costume marin (7)


Pas de matelot sans son chapeau !

En 1855, une circulaire ministérielle fixe la tenue règlementaire des hommes d'équipage de la Marine impériale française [voir l'article sur la marinière], cela concerne aussi les coiffures. Les matelots portent le chapeau de paille, le chapeau noirci et le bonnet de travail.

▪ Le chapeau de paille, que les matelots confectionnent eux-mêmes avec des matériaux fournis par les magasins généraux de la Marine, est porté dans les pays chauds jusqu'en 1923. Orné d'un ruban à bouts flottants légendé au nom du navire, il est l'ancêtre des chapeaux de paille pour enfants, comme celui que porte Albert Edouard, et du canotier porté aussi par les hommes et par les femmes.

▲à g. : Portrait d'Albert Edouard, prince de Galles (détail), par François Xavier Winterhalter, 1846,
collection privée sur Artrenewal
à dr. : Chapeau de matelot en toile cirée du prince impérial, vers 1859,
Musée et château de Compiègne sur Agence photo de la Réunion des musées nationaux RMN

Pour les pays tempérés, les matelots portent un chapeau en feutre verni qui remplace le chapeau de paille recouvert de toile cirée noire, dont le port n'est que toléré dans la première moitié du siècle.

▪ Quant au bonnet, ce n'est au départ qu'un simple bonnet de laine foulée bleu roi porté pour le travail. Il est orné de deux raies rouges teintes à la cochenille, d'un gland en laine bleue et rouge au sommet - ancêtre du pompon qu'on appelle houppette dans la Marine, et de deux jugulaires blanches en peau de veau. Le bonnet est appelé bachi en argot, sans qu'on connaisse l'origine du mot – on pense au fameux juron "bachi bouzouk" du capitaine Haddock, les bachi-bouzouks étant des cavaliers mercenaires peu disciplinés de l'armée ottomane.

En 1870, les bonnets n'ont plus qu'une seule bande rouge, la houppette est faite entièrement de fils rouge garance, naturel puis artificiel. Le ruban légendé doré n'arrive qu'en 1872, il porte la légende Marine nationale lors de l'incorporation du matelot, puis le nom du navire auquel il est affecté. En 1876, une nouvelle circulaire supprime le chapeau noir pour les sorties et le remplace par le bonnet.

▲Bonnet de travail de matelot, modèle 1901, Musée national de la Marine, photographie A. Fux et S. Dondain

En 1932, la houppette devient amovible et s'agrafe au bonnet - le matelot la coince à l'aide d'une pièce trouée pour éviter que les admiratrices ne la lui subtilisent. Aujourd'hui le bonnet n'est plus porté que pour les évènements solennels, la houppette porte toujours bonheur à celles qui la touchent. Moi qui suis originaire de Lorient, je n'ai jamais raté l'occasion de toucher les pompons rouges des musiciens du bagad de Lann Bihoué, jusqu'à ce que l'un d'eux me raconte que cette légende serait la métaphore d'un autre touche-touche, si vous voyez ce que je veux dire, depuis je n'ose plus.

Contrairement aussi à ce qui a pu être dit ici ou là, le rôle de la houppette n'est pas de protéger le matelot lorsqu'il se cogne aux plafonds bas des cursives des navires, ni de le repérer s'il tombe à la mer. C'est au départ juste une caractéristique liée à la technique de finition du bonnet.

Le chapeau des enfants

Au XIXe siècle, et au début du XXe siècle, il est inconcevable qu'une personne de la bonne société sorte "en cheveux", c'est-à-dire sans chapeau, fût-elle un enfant, comme en témoigne la photo ci-dessous.

▲Enfants assistant à une représentation de Guignol dans le Jardin du Luxembourg, 1898,
photographie Ernest Roger sur Paris en images

▪ Avec le costume marin, l'enfant porte de préférence le chapeau de matelot en paille, comme Bertie. A la calotte plus ou moins haute, avec ou sans ruban, à la passe plus ou moins large, droite ou légèrement incurvée, ce chapeau de matelot en paille va connaître une multitude de variantes, jusqu'au canotier. Il va aussi peu à peu accompagner d'autres tenues que le costume marin.

▲à g. : Le prince Albert Victor, Duc de Clarence et Avondale, fils aîné de Edouard VII,
et son frère futur roi George V, par Alexandre Bassano, 1875,
National Portrait Gallery, Londres
à dr. : Jeune garçon en costume marin et chapeau de paille, vers 1900
Pool Vintage Kids sur Flickr

▲à g. : Henri et Robert, par Paul Lancrenon, 1913
à dr. : Sur la plage des Dalles : Yvonne debout, Henri et Anne-Marie accroupis,
par Paul Lancrenon, 1906 sur Agence photo de la Réunion des musées nationaux RMN

▲à g. : Page de catalogue W. H. Scroggie Ltd, chapeaux pour hommes et enfants, 1908,
Musée Mac Cord, Montréal
à dr. : Costume de marin en cheviot bleu et chapeau de paille, La Mode illlustrée, juin 1895

▲à g. : Chapeau d'enfant en paille naturelle, bordé de cuir, bande ruban noire, début du XXe siècle,
The Metropolitan Museum of Art, New York
à dr. : Portrait de Eleanor Mary Hollyer, photographe inconnu, vers 1875,
National Portrait Gallery, Londres

▲à g. : Garçonnet en robe marin et chapeau de paille, vers 1900, sur Flickr
à dr. : Chapeau de matelot en paille pour enfant, vers 1900,
The Los Angeles County Museum of Art, Los Angeles

▪ Les enfants en costume marin portent aussi le bonnet en drap bleu "marin" directement copié sur le bonnet de laine du matelot. On l'appelle plutôt béret, ou encore Jean-Bart – en référence au célèbre corsaire dunkerquois. Ce béret est orné d'un ruban à lettres dorées au nom d'un navire imaginaire, et d'une houppette rouge. Les bérets "authentiques" achetés dans les maisons anglaises arborent sur leurs rubans des noms comme HMS Revenge ou HMS Victory.

▲à g. : Garçonnets à vélocipède, en costumes et bonnets marins de style anglais,
France, fin XIXe siècle, sur Flickr
à dr. : Béret marin à ruban marqué Normandie, fin XIXe siècle, en vente sur eBay

▲en ht g. : Béret enfant, orné d'un ruban Le Gaulois, fin XIXe siècle, Musée Galliéra
en ht dr. : Enfants en bonnets marins (détail), France, fin XIXe siècle sur Flickr
en bas g. : Enfant en bonnet marin (détail), vers 1875-1880, sur Flickr
en bas dr. : Béret enfant, orné d'un ruban HMS Revenge, fin XIXe siècle, Musée Galliéra

Ces bérets s'inspirent largement des uniformes de marine propres à chaque pays. Ainsi le béret français est-t-il de petite taille, à fond souple et houppette rouge, le béret anglais plus large et plat, le béret russe aux bords plus hauts, etc.

▲Les princes Léopold (né 1889), Alexandre dit Drino (né 1886) et Ena (né 1887),
fils de Béatrice et petits-fils de la reine Victoria, en 1891, sur Flickr

▲Le tsarévitch Alexei Romanov et Nicolas et Ileana de Roumanie, vers 1915 sur Flickr

▲à g. : Enfants en costumes marins et bérets orné de lettres dorées, vers 1915 sur Flickr
à dr. : Béret marin orné d'un ruban HMS Iron Duke, vers 1910
Musée Mac Cord, Montréal

▪ Après la Première Guerre mondiale, et plus encore après la Seconde Guerre mondiale, le béret plat à pompon, trop voyant, est en perte de vitesse, remplacé par le bob blanc de la Marine américaine. Porté par les correspondants de guerre, cela lui donne une aura de prestige et de modernité. Le bob américain est porté relevé pour les bébés, rabattu pour les enfants plus grands, et les adultes.

▲à g. : Enfant en costume marin et bob américain, 1946 sur Flickr
à dr. : Bob américain, 1931, The Metropolitan Museum of Art, New York


(à suivre : Le costume marin, symbole stéréotype de l'enfance)

3 commentaires:

  1. Petite information un peu gratuite il est vrai : bachi bouzouk signifie têtes cassées en turc, cela peut avoir un rapport avec l'expression française "tête en l'air". J'espère que cela peut vous permettre de déduire si cela a en effet un rapport avec le mot argo désignant le bonnet marin :)

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  2. très bonne initiative ! merci pour ce blog très intéressant

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