13 septembre 2013

Histoire du K-way



En seulement quelques jours, alors que l'été paressait doucement sur Paris, voilà que l'automne s'est installé brusquement, avec son ciel gris mouillé et ses averses brusques qui font crier les enfants de l'école située en bas de chez moi.

Le moment me semble bien choisi pour partager avec vous cette information : après vingt-et-un ans d'absence, la marque K-Way ouvre ce mois-ci à Paris, dans le quartier Bastille, une boutique entièrement consacrée à ce vêtement iconique devenu nom commun entré en 1995 dans le dictionnaire.

▲Les 40 ans de K-way sur le site K-way

Depuis 1992, année de l'incendie de son usine dans le nord de la France, le K-way était introuvable en France. Cette nouvelle collection fait bonne place aux modèles historiques basiques, le Claude et le Jacques – mode vintage oblige – mais l'essentiel, plutôt haut de gamme, est plus technique et plus mode. On peut voir des photos de la boutique et des modèles sur ce tumblr de la marque.

Le K-Way espère atteindre cinq millions d'euros de ventes en France d'ici deux ans. Hélas, au grand dam de notre ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, la production ne sera pas relocalisée en France, même partiellement. Le groupe italien Basic Net, propriétaire de la marque K-Way qu'il a relancée en 2004, avait annoncé une collection capsule – une série limitée événementielle – fabriquée en France avec l'appui du ministère. Mais la société Robert Dodd, chargée d'exploiter la marque sous licence en France, déplore « des coûts de production rédhibitoires, multipliés par trois voire par cinq sur certains produits ». Tout est donc produit au Vietnam ou en Chine.

Le K-way, illustration représentative des mutations esthétiques et sociales des années 60

C'est le Français Léon-Claude Duhamel qui invente le célèbre coupe-vent en 1965. Fils d'un industriel du Nord, fabricant de pantalons, il raconte qu'assis à la terrasse d'un café parisien un jour de pluie, il voit passer une femme accompagnée de deux enfants en blouson de nylon rouge vif. Depuis quelques temps lui trotte dans la tête le projet d'une marinière « genre pêcheur breton », l'idée du nylon rouge à capuche lui plaît, il la note dans son calepin. Quelques mois plus tard, le prototype du premier K-way est validé.

Dans l'économie florissante de ces années 60, on n'a qu'un mot à la bouche : modernité. Le classicisme traditionnel chic des années 50, jugé triste, est emporté par une vague de jeunisme et de démocratisation de la mode. La France adopte les habitudes de consommation américaines et préfère les vêtements pratiques et confortables ; anoraks, blousons, pulls et jeans remplacent jusqu'aux incontournables « vêtements du dimanche ». On a soif de produits nouveaux, de formes innovantes, de matériaux inédits. Les fibres synthétiques connaissent un succès prodigieux, le Nylon est « chic ».

Cette mode unisexe sans contrainte s'adresse à une nouvelle cible émergente, les jeunes du baby-boom d'après-guerre, qui a le pouvoir de consommer grâce à son propre argent de poche. La notion de classe sociale jusqu'alors très présente dans le vêtement s'efface pour une répartition sociale par classes d'âge. Désormais la rue influence la mode, l'image de la jeunesse conquiert les médias. Le K-way est l'illustration parfaite de ces mutations esthétiques et sociales.

▲Publicité K-way des années 70 sur eBay

▲Publicité K-way « le vrai » pour la télévision, 1971, sur Institut National de l'Audiovisuel, Paris

▲Publicité K-way, 1975 sur eBay

Pour leur coupe-vent, les Duhamel ont choisi le nom « En cas... » – sous-entendu, de pluie – mais le représentant de Havas Lille, leur agence de publicité, insiste pour un nom à l'américaine, ses propositions tournent autour de « way » : « pour les jeunes, c'est mieux » assure-t-il. Après des heures de cogitation collective, Duhamel père propose : « vous voulez « way », nous voulons « cas », pourquoi pas K-way ? ». Ce n'est qu'un an plus tard qu'un hasard de manipulation aboutit au coup de génie de la poche-banane qui s'accroche à la taille. Au poids plume du K-way s'ajoute l'effet mains libres.

Le succès du K-way se situe dans un contexte de modernisation de la filière textile française

Bien sûr, une telle révolution ne peut aboutir que si toutes les infrastructures industrielles sont prêtes. De fait, l'état d'esprit des jeunes, très nombreux, du baby boom des années 60 appuie et accélère le processus de modernisation initié dans les années 50 par la filière textile-habillement. Depuis la fin des années 40, les confectionneurs français s'intéressent de près aux modes de production en série et aux habitudes vestimentaires développés par les États-Unis isolés par la guerre du modèle de la couture française. Les missions d'études, sous la conduite de Albert Lempereur, président de la Fédération de l'industrie des vêtements féminins, se multiplient (On peut voir sur le site de l'INA, Albert Lempereur défendre en 1961 le prêt-à-porter féminin au micro de Michel Péricard, pour l'émission de télévision Page de la femme). On s'inspire de l'efficacité du modèle américain rationalisé, d'autant plus efficace qu'il bien relayé par une politique de communication habile. C'est la naissance en France du prêt-à-porter et des marques.

Dans le même temps, les techniques de production font des progrès considérables. Les machines à coudre passent de 500 à 2 ou 3000 points par minute. Grâce au couteau électrique, on augmente l'épaisseur du matelas de tissu et on coupe plus de modèles en une même opération. De nouvelles machines sont mises au point, qui facilitent et améliorent la fabrication : machines à aiguilles courbes pour coutures et ourlets invisibles, machine à coudre les boutons, machines à surpiquer à trois aiguilles, presses automatiques pour repasser les vêtements, chariots de manutention, etc. On passe de séries de quelques centaines de pièces confectionnées à des productions de 8000 pièces pour un même modèle. Les techniques de communication, l'information, l'image suivent. Le gain de temps et la fabrication à plus grande échelle permettent de faire baisser sensiblement les prix.

▲Publicité K-way « Gérard ! » pour la télévision, 1981, sur Institut National de l'Audiovisuel, Paris

▲Publicité K-way « l'action» pour la télévision, 1982, sur Institut National de l'Audiovisuel, Paris

La saga K-way de sa naissance dans le Nord de la France à son come-back via l'Italie

Pourtant, à son lancement, le K-way est loin d'être un succès. Ses créateurs doivent prendre leurs valises de représentants et parcourir la France. Les 3 Suisses, entreprise de vente à distance basée à Croix dans le Nord, sont les premiers à passer une commande de 3000 pièces. C'est la publicité qui va doper les ventes. Le succès du K-way est phénoménal, les concurrents le copient, Léon-Claude Duhamel en dénombre trente-trois, dont Adidas auquel il ne fait pas ses compliments tant il trouve sa qualité médiocre.

▲Publicité K-way, Le faux billet, 1981
Le K-way communique contre les imitations, ses créateurs en comptent jusqu'à 33
sur Institut National de l'Audiovisuel, Paris

▲Publicité K-way, 1991 sur eBay

Fin décembre 1990, après avoir vendu 40 millions de K-ways en vingt-cing ans, Léon-Claude Duhamel vend son affaire à Pirelli ; à cinquante-cinq ans il quitte le Nord pour le Sud de la France et démarre une autre aventure entrepreneuriale dans le domaine viticole.

En 1992, un incendie dévaste l'usine. K-way périclite, en cinq ans les ventes s'effondrent de 500 millions de chiffre d'affaire à 100 millions annuels, des filiales commerciales sont fermées, l'impitoyable concurrence asiatique est passée par là. En 1996, la marque devient la propriété de la banque italienne SOPAF.

La marque K-way est rachetée en 2004 par le groupe turinois Basic Net, son actuel propriétaire, qui possède aussi Kappa et Superga. Jusqu'à ce mois de septembre, des K-ways sont vendus sur le marché italien, anglais, américain, mais pas en France où il est né.

À compter de la mi-septembre (ouverture imminente) on pourra à nouveau chanter et danser sous la pluie à l'abri de son K-way. Et qu'on se rassure, le K-way est aujourd'hui fabriqué dans de nouvelles matières microporeuses antitranspirantes. On ne peut plus dire, comme Dany Boon « tu sues à mort, c'est le principe du K-way, c'est imperméable, mais à l'intérieur tu es tout trempé ».

▲En cas de... K-way brand identity [en anglais, 12 minutes 58]
par Basic Net TV sur youtube, 2012
Toute l'histoire de la marque et le témoignage de son créateur, Léon-Claude Duhamel



▲Dany Boon à l'Olympia, Wayka, 2006, sur youtube

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire